Eastern & Oriental Express : un voyage suspendu dans le temps

Le nom seul de l’Eastern & Oriental Express évoque instantanément une atmosphère d'exclusivité, de mystère et de nostalgie. Je dois bien l'admettre : mon excitation était palpable bien avant mon arrivée à la gare de Woodlands, à Singapour. Pourtant, mes premiers pas dans cette gare austère aux longs couloirs gris éclairés par des néons froids, m’ont laissé une impression initiale déconcertante. Seul le bruit régulier des contrôles automatisés des passeports interrompait un silence presque clinique. Mais une fois franchis les portiques, c’est là que la magie s’opère véritablement : le train se dévoile enfin, élégant dans ses tons vert et crème. L’accueil chaleureux du personnel, aux sourires sincères et attentifs, me propulse immédiatement dans l’expérience que j’espérais vivre.

Dès les premiers instants à bord, l’impression d’entrer dans une véritable bulle temporelle se fait sentir. Tout autour de moi semble figé dans une époque révolue, raffinée et paisible. Je me prends rapidement au jeu d'explorer les différents espaces du train, comme un enfant fasciné par chaque nouvelle découverte : les restaurants à l’atmosphère feutrée et aux tables dressées avec un raffinement exquis, où le doux tintement des coupes de champagne et de la vaisselle fine ajoute une note supplémentaire d'élégance. Je découvre également le piano-bar intimiste aux lumières tamisées, le spa Dior – exclusivité remarquable du Belmond Eastern & Oriental Express – et surtout le wagon d'observation ouvert vers l'extérieur, offrant une vue imprenable sur les paysages traversés. L’intérieur douillet et élégant contraste merveilleusement avec l’environnement tropical extérieur, accentuant cette impression d'être suspendu hors du temps.

Un moment particulièrement mémorable s’est déroulé justement dans ce wagon d’observation, au début d’une soirée après une brève averse tropicale. La fraîcheur délicieuse et l’odeur caractéristique de la végétation humide accompagnaient parfaitement mon Negroni lorsque, soudain, les douces notes de jazz s’élevant du téléphone d'un autre passager ont ajouté une dimension inattendue à ce moment. Gêné, celui-ci me demanda immédiatement si cela me dérangeait, mais bien au contraire, cette mélodie improvisée enrichissait encore davantage l’ambiance intemporelle. Tandis que le faisceau de rails humides reflétaient la lumière dorée du soleil couchant et que les silhouettes élancées des palmiers défilaient doucement, je réalisai pleinement la magie singulière de cet instant.

Les journées à bord étaient rythmées avec une fluidité presque naturelle. Le petit-déjeuner, délicatement servi dans l’un des restaurants ou directement en cabine, ouvrait des journées ponctuées d’activités soigneusement sélectionnées. Mon choix s’était porté sur la découverte de la jungle du parc national de Taman Negara en compagnie d'un guide-photographe. Là, j'ai pu observer avec fascination chaque détail, comme cette famille de singes sautant habilement de branche en branche, leurs cris résonnant dans la végétation luxuriante.

À Georgetown, j'ai exploré les galeries d'art à bord d'une Vespa, une expérience charmante certes, mais c’est toujours vers le train que mon esprit revenait, véritable star de ce voyage exceptionnel. L’attention méticuleuse et anticipée du personnel créait une atmosphère de luxe discret, ajoutant à chaque instant passé à bord une dimension unique.

Le soir venu, l’ambiance devenait festive au piano-bar. Une chanteuse captivante interprétait des standards de jazz, invitant les passagers sur une piste de danse improvisée. Robes scintillantes et élégants costumes en lin léger tournoyaient joyeusement, donnant encore davantage l'impression d'avoir franchi un seuil temporel vers une époque glamour et insouciante.

Chaque nuit, retrouver ma cabine soigneusement préparée par un service aussi discret qu'attentif était un plaisir à part entière. Une lampe de chevet diffusait une lumière douce sur un livre délicatement posé, m'invitant à plonger plus profondément dans la culture malaisienne. Même le balancement initialement perturbant du train devint rapidement une présence réconfortante, familière et apaisante.

L’expérience culinaire orchestrée par le chef André Chiang fut également remarquable. Chaque repas représentait une surprise attendue, dont le dessert « Les Trois Mousquetaires » reste particulièrement gravé dans ma mémoire : une association audacieuse et harmonieuse de glace à la pistache, de câpres asiatiques et d’huile d’olive, évoquant une palette de saveurs délicieusement inattendue.

Ce voyage m’a rappelé la précieuse valeur du slow travel, cette invitation à ralentir, à savourer chaque instant et à considérer le trajet lui-même comme une destination. Je garde de ces quatre jours des souvenirs finement gravés : la voix crépitante annonçant le départ, le frisson de la locomotive qui insufflait la vie aux voitures anciennes, le tintement délicat des tasses lors du afternoon tea, les panoramas tropicaux qui défilaient dans une lumière changeante, les notes de jazz flottant au-dessus des tables, et les robes scintillantes dans le balancement feutré du wagon-salon. Plus qu’un simple trajet, l’Eastern & Oriental Express fut pour moi une ode à l’élégance intemporelle, à la nostalgie raffinée et à la magie authentique de prendre le temps.